Pourquoi choisir un e-liquide sans nicotine pour vapoter

Supposer que les e-liquides sans nicotine sont totalement inoffensifs revient à ignorer une réalité que la science commence tout juste à mettre en lumière. Une étude récente démontre que les arômes présents dans les cigarettes électroniques peuvent perturber le fonctionnement des cellules chargées de défendre notre organisme contre les infections.

La cigarette électronique fonctionne sur un principe simple : chauffer un liquide parfumé pour le transformer en aérosol, que l’on inhale ensuite. Ce liquide, l’e-liquide, contient souvent de la nicotine, mais ce n’est pas systématique. Les fabricants y recourent pour satisfaire les amateurs de sensations fortes, avides de retrouver le coup de fouet du tabac. La nicotine, issue du tabac, fait que la plupart des e-cigarettes sont classées parmi les « produits du tabac ».

Ce même stimulant peut s’avérer utile chez les adultes qui cherchent à décrocher du tabac, mais il nuit gravement aux enfants et aux adolescents. Voilà pourquoi certains jeunes préfèrent vapoter des produits dépourvus de nicotine. Pourtant, des données récentes rappellent que la toxicité ne s’arrête pas à la nicotine : même les e-liquides sans cette substance peuvent présenter des risques.

« Les saveurs sont un puissant attrait pour les adolescents », constate Irfan Rahman, chercheur à l’Université de Rochester à New York. Selon ses travaux, l’envie de goûter à des saveurs sucrées et fruitées figure parmi les principales raisons qui poussent les jeunes à se tourner vers la cigarette électronique.

Décryptage : de quoi parle-t-on quand on évoque les e-cigarettes ?

Toxicologue de formation, Rahman s’intéresse à la manière dont différentes substances agressent les cellules et tissus humains. Son équipe a voulu savoir si certains arômes d’e-liquides représentaient un danger. Leur panel de tests a inclus des saveurs courantes telles que la cannelle, la barbe à papa, le melon, l’ananas, la noix de coco et la cerise.

Si ces arômes sont jugés sûrs pour l’alimentation, c’est parce qu’ils sont dégradés dans l’intestin après ingestion. Mais une fois inhalés, rien ne garantit qu’ils soient inoffensifs pour les voies respiratoires : poumons et bronches pourraient en subir les conséquences.

Plutôt que de risquer d’exposer des personnes à ces substances, l’équipe de Rahman a préféré tester les arômes directement sur des cellules humaines en laboratoire. Ce choix leur a permis d’observer les effets potentiels sur l’organisme sans mettre de volontaires en danger.

Le constat est sans appel : certains arômes vaporisés se sont montrés nocifs pour les cellules. Ces résultats ont été publiés dans la revue Frontiers in Physiology en janvier.

Quand les cellules affrontent la cannelle

Après une session de vapotage, des molécules issues des e-liquides peuvent traverser les parois des capillaires pulmonaires et migrer vers le sang, explique Thivanka Muthumalage, chercheur dans l’équipe de Rahman.

Pour aller plus loin, les chercheurs ont directement exposé des globules blancs, en l’occurrence des macrophages, ces cellules du système immunitaire qui traquent et éliminent les éléments indésirables, à différents arômes. Ils ont utilisé des doses comparables à celles que l’on retrouve dans les e-liquides du commerce, parfois même inférieures à ce que consomment réellement les adeptes de la vape.

Leur méthode : mesurer les signes de stress ou de mort cellulaire. Plusieurs additifs aromatisants ont provoqué un stress intense, voire la destruction des cellules. Sont particulièrement pointés du doigt : les arômes de type beurre (pentanedione, acétoïne), vanille (O-vanilline), barbe à papa, caramel (maltol) et surtout la cannelle (cinnamaldéhyde).

Le cinnamaldéhyde, justement, s’est révélé le plus dévastateur. Sa capacité à décimer les cellules immunitaires inquiète, car une immunité affaiblie ouvre la porte aux infections.

Les observations de l’équipe sont relayées par une autre étude publiée dans Biology le 27 mars. Des scientifiques de l’Université de Caroline du Nord ont testé 148 e-liquides sur des cellules humaines. Verdict : les arômes à base de cannelle et de vanille ont entraîné une baisse marquée du nombre de cellules viables.

La machine à vapoter, révélateur de risques

Pour aller plus loin, les chercheurs ont utilisé une « machine à vapoter » : cet appareil inhale mécaniquement les e-liquides via une cigarette électronique, puis mesure les vapeurs émises dans l’air. Ces brumes sont celles qu’un utilisateur humain respirerait.

Grâce à ce dispositif, ils ont pu quantifier les substances potentiellement dangereuses libérées lors du chauffage des arômes. Leur constat : à chaque fois, la transformation des arômes en vapeur génère des molécules nocives pour les cellules. Le mélange de plusieurs arômes amplifie même la quantité de composés toxiques, au-delà de ce que produirait chaque arôme pris séparément.

Inhaler plusieurs saveurs de e-liquide en même temps pourrait donc accroître les risques par rapport à une exposition isolée.

Ce phénomène n’a rien d’anecdotique, souligne Melanie Prinz, étudiante ayant contribué à l’étude. « Lors des fêtes, il n’est pas rare que les adolescents partagent leurs appareils, ce qui les expose à un cocktail de saveurs », rappelle-t-elle.

Les conclusions du laboratoire de Rahman rejoignent celles d’une équipe de l’Université de Californie à San Francisco, qui s’est penchée sur les e-liquides sans nicotine. Après analyse d’urines d’adolescents vapoteurs, ils ont détecté jusqu’à trois fois plus de cinq substances chimiques susceptibles de provoquer des cancers chez ceux ayant vapoté par rapport à ceux qui s’abstenaient. Ces résultats ont été publiés dans Pediatrics.

Il s’agit de la première étude à avoir mesuré la pénétration de tels composés toxiques dans l’organisme d’adolescents adeptes de e-liquides sans nicotine.

Ce que révèlent ces études et pourquoi cela compte

Maciej Goniewicz, chercheur au Roswell Park Comprehensive Cancer Center à Buffalo, se penche aussi sur l’impact des vapeurs de cigarette électronique. Pour lui, tester la toxicité des arômes sur des cellules aide à repérer les substances problématiques.

Si certains arômes se révèlent particulièrement nocifs, ces résultats peuvent éclairer les décisions des autorités sanitaires : réglementation, voire interdiction de certains additifs. À l’inverse, ces données pourraient pousser les fabricants à revoir leurs formules pour limiter les risques.

Décryptage : le cerveau adolescent face à la nicotine

Étudier les effets sur des cellules en laboratoire permet de contrôler les paramètres : on peut, par exemple, écarter la nicotine et se concentrer uniquement sur l’impact des arômes. Mais dans la réalité, les comportements sont moins compartimentés : un adolescent peut vapoter un liquide nicotiné un jour, un autre sans nicotine le lendemain. Difficile, dans ces conditions, d’isoler les effets de chaque substance.

Cela dit, les expériences menées sur des cellules ne livrent qu’une partie du tableau. Elles mettent en évidence des dangers potentiels, mais ne disent rien des effets à long terme sur la santé humaine. Pour cela, il faudra attendre les résultats d’études suivies sur plusieurs années, voire décennies. Les maladies liées à l’exposition toxique peuvent mettre longtemps à se déclarer.

Un vaste rapport a d’ailleurs passé au crible plus de 800 études scientifiques sur le sujet. Les conclusions invitent à la prudence.

Parmi les constats : des preuves solides associent le vapotage à une augmentation de la toux et de la respiration sifflante chez les adolescents, ainsi qu’à une aggravation de l’asthme. D’autres données font le lien avec une hausse temporaire de la pression artérielle et une rigidification des vaisseaux sanguins. Surtout, les auteurs du rapport insistent sur le potentiel des vapeurs de e-cig à endommager l’ADN et les cellules.

Ce document de référence, rendu public le 23 janvier, émane des National Academies of Sciences, Engineering and Medicine aux États-Unis.

À l’heure où les débats sur la cigarette électronique font rage, une certitude s’impose : le danger ne se cache pas toujours là où on l’attend. Arômes sucrés ou fruités, nicotine ou non, la prudence reste de mise. La science n’a pas dit son dernier mot et les conséquences du vapotage, elles, n’ont pas fini de nous surprendre.

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